The Stranded Horse and The Riderless Night

 —  Kirill Savchenkov

du 27.01.2024 au 24.02.2024

Communiqué

L’univers de Kirill Savchenkov foisonne de personnages réels, disparus et parfois... morts-vivants. Certains, comme les cigales, relèvent du royaume animal, mais on y trouve des métamorphoses plus ambivalentes et même des loups-garous animés de pulsions anarchistes. Il nous confronte également à des algorithmes complexes, défiant la compréhension, où se croisent des influences humaines, surnaturelles et des puissances relevant de l’intelligence artificielle — souvent suggérées, mais jamais clairement identifiées. Parmi les figures les plus facilement reconnaissables, on relève des personnalités historiques, telles que Véra Zassoulitch et Véra Figner, deux révolutionnaires du XIXe siècle, l’anarchiste Peter Kropotkine, et des animaux quasi mythologiques comme le cheval Varvar[1]. La plupart d’entre eux appartiennent à l’histoire de la Russie, à ses luttes contre un pouvoir autocratique et aux nombreuses révolutions qui y ont bouleversé la marche des siècles.

Kirill Savchenkov aborde l’histoire du pays qui l’a vu devenir artiste avec finesse, cultivant la nuance et une certaine affinité pour la fiction spéculative. Ses connaissances en matière de science-fiction lui permettent de mêler des auteurs et des faits improbables à la lumière desquels on peut remettre en perspective certains sujets politiques. Attentif aux frémissements de l’air du temps, il s’applique à y capter des signaux à peine perceptibles qui semblent émaner simultanément du passé et de notre futur, avec tout ce qu’ils comportent d’angoisse et de prémonition, devant l’imminence de certaines catastrophes. La traversée de ces paysages à la fois temporels et technologiques fournit la matière à des essais qui prennent la sculpture pour médium. Où qu’il les trouve, avec l’éclectisme et la minutie d’une pie voleuse faisant son nid, Savchenkov se penche pour ramasser toute une myriade de choses minuscules et fragiles. Il prête souvent attention à ce qui est simplement tombé par terre : branches d’arbre, plumes d’oiseaux, grains et poussières. La sensibilité électro-magnétique qui le pousse à ausculter le monde comme un éther bruissant de signaux en tous genres lui permet d’ajouter à sa collection des trouvailles supplémentaires à la fois tangibles et intangibles. Ces signaux restent souvent suspendus dans une indétermination onirique : ils font référence à un événement qui ne surviendra que dans mille ans, où était-ce au contraire dans un lointain passé? Nimbés d’incertitude, ils semblent parfois à portée de main. Tout cela renforce l’échelle miniature dans laquelle se déploient les sculptures-essais de Savchenkov : d’une manière qui n’est pas sans rappeler l’art floral de l’ikebana, ce sont des bouquets de propositions, d’humbles souvenirs glanés durant ces longs voyages intérieurs, jamais linéaires, encore inachevés.

C’est au cours d’une conversation remontant à plusieurs années que je l’ai entendu parler pour la première fois d’un cheval nommé Varvar. Ce sobriquet m’était encore inconnu, mais j’ai découvert petit à petit que l’animal en question, oscillant entre la légende et l’histoire, avait porté son fardeau à travers plusieurs régimes sociopolitiques. « Je vois ce cheval comme un algorithme, comme un avatar », m’avait à l’époque confié Savchenkov, « il n’est pas tout à fait fiable. » Varvar, c’est le cheval qui a transporté le corps meurtri du tsar Alexandre II après la tentative d’assassinat de 1881; mais c’était aussi ce même Varvar qui avait permis à l’anarchiste Pierre Kropotkine de s’évader de prison en 1876. « Personne d’autre ne peut se vanter d’avoir côtoyé à la fois Kropotkine et le tsar Alexandre II », ajoutait Savchenkov. Fallait-il le croire sur parole ? Comment juger cette histoire ? Et si nous acceptons l’existence de ce Varvar comme un fait historique, où donc va-t-il nous mener ? Se trouvait-il simplement là par hasard ou ce cheval avait-il lui aussi des motivations politiques? Savchenkov est fasciné par la collision du possible et du vraisemblable, en particulier quand elle se produit dans le champ politique. Varvar n’est qu’un avatar où transparaît un processus historique, la résistance à l’oppression. Quant à l’intelligence artificielle, elle est tout sauf neutre et pourra être mise à profit par les camps qui s’affrontent au sein d’une bataille aux multiples dimensions : aujourd’hui, demain, à tout moment.

Un son émane des haut-parleurs. L’élément sonore est toujours sollicité dans l’univers de Savchenkov. Je me souviens l’avoir entendu décrire la tension qui existe entre son et silence. Il voyait la croissance du silence dans la poitrine de quelqu’un comme le résultat de la peur, de l’anxiété et de la manipulation qui servent d’outils aux régimes autocratiques. Le son qu’on entend pourrait alors correspondre au retour de la puissance d’agir, ou bien évoquer un paysage de bord de mer, avec ses roseaux agités par le vent, à mesure que Kropoktine commence à raconter son évasion : « Varvar était un magnifique cheval de course... ».

Pendant ce temps, une combinaison de fils de métal, de crins de cheval et de poils de chien tissés ensemble par Kirill Savchenkov relie le plafond et le sol, en étincelant comme si des particules autant chargées du point de vue chimique que sur le plan politique ou émotionnel s’y entrechoquaient sans fin. Il s’agit d’éléments hétéroclites en provenance des mondes naturels ou ultra-synthétiques visités par les mains de l’artiste qui les a assemblés à la manière d’un orfèvre. Cette œuvre évoque de manière élusive différents motifs ayant trait à l’évasion de la forteresse où l’empire russe retenait Kropoktine prisonnier. L’anarchiste attendait un signal précis pour tenter de s’échapper : le son d’un violon. L’archet qui en joue est fait de crins de cheval tendus, ceux-là mêmes qu’on retrouve au cœur de la sculpture. Varvar l’attendait en contrebas.

— Raimundas MalaÊauskas
traduit par Noam Assayag

1 - Varvar : le barbare en russe

Vue d'exposition
The Stranded Horse and The Riderless Night
du 27.01.2024 au 24.02.2024 , Galerie Allen
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The Stranded Horse and The Riderless Night
du 27.01.2024 au 24.02.2024 , Galerie Allen
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du 27.01.2024 au 24.02.2024 , Galerie Allen
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du 27.01.2024 au 24.02.2024 , Galerie Allen
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du 27.01.2024 au 24.02.2024 , Galerie Allen
Kirill Savchenkov
Essay H: The Wolfsbane, 2023
Acier inoxydable, plastique, bois, poils de chien
Dimensions variables
Photo: Anna Denisova
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Kirill Savchenkov
Kirill Savchenkov
Essay B: Escape, 2023
Acier inoxydable, plastique, bois
Dimensions variables
Photo: Anna Denisova
Courtesy the artists and Galerie Allen, Paris
Kirill Savchenkov
Kirill Savchenkov
Essay D: Vera's Herbarium, 2023
Crin de cheval, silicone, allumettes, bois
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Kirill Savchenkov
Kirill Savchenkov
Essay G: Assassination, 2023
Poil de cheval, silicone, acier inoxydable, aluminium, cuivre, allumettes, bois
Dimensions variables
Photo: Anna Denisova
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Kirill Savchenkov