Over The Air and Underground

 — Angelica Mesiti

du 04.09.2021 au 09.10.2021
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Vue d'exposition
Over The Air and Underground
du 04.09.2021 au 09.10.2021 , 6 Passage Sainte-Avoye, Paris, 75003
Angelica Mesiti
Galaxy Noir (turning), 2021
Granite Galaxy Noir, gravure, peinture émaillée
60 x 2 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Angelica Mesiti
Angelica Mesiti
Galaxy Noir (speaker), 2021
Granite Galaxy Noir, gravure, peinture émaillée
60 x 2 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Angelica Mesiti
Angelica Mesiti
Fluoresce 1, 2021
Impression jet d'encre pigmentée sur papier Awagami Kozo
124 x 70 cm
Encadrement : 126.5 x 72.5 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Angelica Mesiti
Angelica Mesiti
Fluoresce 2, 2021
Impression jet d'encre pigmentée sur papier Awagami Kozo
124 x 70 cm
Encadrement : 126.5 x 72.5 cm
Courtesy the artist and Galerie Allen, Paris
Angelica Mesiti

Communiqué

Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu

« Que faire quand votre monde commence à s’effondrer ? Moi, je pars me promener et, si j’ai vraiment de la chance, je trouve des champignons. » (1)

Réalisée immédiatement après le premier confinement, Over the Air and Underground, l’installation vidéo d’Angelica Mesiti qui rassemble dans une ronde sombre et fluorescente des fleurs à différents stades de décomposition, ne peut pas ne pas résonner tant avec nos peurs qu’avec nos ravissements récents – celles et ceux que la pandémie a rendu manifestes.(2) Les associations que convoque la pièce sont multiples, et c’est justement cette navigation qui m’intéresse : elle permet de faire le point sur ce qui nous arrive, sur les liens qui se tissent malgré et peut-être grâce au virus, sur les faiblesses qui sont aussi des forces. Les filaments lumineux qui recouvrent, dans les vidéos, les fleurs éclairées aux rayons ultraviolets incarnent bien ces liens à reconstruire et leur intensité brillante en dit long sur l’importance – voir l’urgence - d’un tel projet.

Angelica Mesiti choisit de produire des formes en exploitant les circonstances et en décidant que ces dernières n’auront pas le dernier mot. C’est d’ailleurs en évoquant ses promenades durant le premier confinement qu’elle aborde la description de cette nouvelle pièce qui arrive donc dans la foulée de ces moments de solitude durant lesquels la ville, puisque c’est à Paris qu’Angelica a vécu le confinement, a offert à nos regards un peu hébétés le seul décor possible dans lequel seule la nature semblait réussir à se maintenir à flot. Comme elle, j’ai le souvenir d’avoir contemplé comme jamais les plantes se débrouiller entre les caniveaux et les fissures dans les murs et lorsque je regarde aujourd’hui sa pièce je comprends son envie d’évoquer les communications secrètes entre les plantes comme des formes de résistance à nos temps suspendus et empêchés.


 

Je ne suis pas spécialiste de ce qu’on appelle en anglais le « nature writing » mais en préparant ce texte j’ai feuilleté à nouveau l’ouvrage que l’auteure Annie Dillard consacre à ses promenades en Virginie, près de sa maison à Tinker Creek. L’ouvrage est majestueux dans sa capacité à nommer chaque espèce, chaque plante et leurs interactions avec le ciel, le temps, les saisons mais il l’est surtout pour la place inédite qu’il négocie pour son auteure : un étonnement ravi, un plaisir joyeux de la découverte : « Je m’intéresse passionnément au lieu où je me trouve, comme un navigateur solitaire dépourvu de sextant, dans son ketch, au milieu de l’océan. ( …) J’ai appris le nom de certaines taches de couleurs, mais je n’en connais pas le sens. J’ai lu des livres. J’ai fébrilement recueilli des statistiques (…) Toutes ces statistiques, ainsi que les diverses informations qui concernent les particules subatomiques, les quantas, les neutrinos, et autres, sont en fait comparables aux infrarouges et aux ultraviolets, aux deux extrémités du spectre. Elles sont trop considérables et trop infimes pour qu’on  voit quelque chose, pour qu’on comprenne : elles restent pour moi invisibles, bien que présentes (…) je voudrais tout voir, tout comprendre, mais il faut bien que je commence quelque part »(3), écrit-elle.

 

Si l’on décidait d’associer la prose d’Annie Dillard à l’ouvrage essentiel que l’anthropologue américaine Anna Tsing publie en 2017 on s’approcherait en partie de l’effet que produit l’installation d’Angelica Mesiti. Car en consacrant ses réflexions aux champignons, Anna Tsing concentre ses efforts sur la nécessité de penser notre monde depuis les effets de la précarité et de la décomposition. Elle décrit génialement comment la notion de progrès a perdu tout « intérêt discursif », nous obligeant ainsi à revoir nos catégories de pensée et plus encore nos relations, nos liens et les échos qui nous unissent au monde vivant. En pensant depuis nos vulnérabilités, Anna Tsing autorise du même coup à voir dans une série de fleurs en plein dépérissement, tournant sur elles-mêmes, l’image d’un monde que nous partageons sans aucun doute.


Mais il y a un mais. Et il faut reconnaître que ni Annie Dillard ni Anna Tsing n’offrent les mots exacts pour nous préparer à la nuit qui vient, aux couleurs tellement acidulées qu’elles ne sèment qu’acidités et troubles, à la rotation infinie et dès lors inquiétante auxquelles Angelica Mesiti choisit de soumettre ces fleurs. C’est là sans doute que le mythe apparaît : « Autrefois il n’y avait pas de nuit. Il faisait tout le temps jour. La nuit dormait dans les profondeurs de l’eau. Les animaux n’existaient pas non plus, les choses pouvaient parler d’elles-mêmes. » (4) Un autre langage surgit, celui capable de décrire les opérations pour le coup dramatiques, volontairement exagérées, telles que celles choisies pour filmer ces fleurs. Ainsi donc, la seule observation ne suffit pas. Angelica le dit elle-même : ce qui l’intéresse gît dans les circuits invisibles qui permettent aux plantes de communiquer entre elles. Ces échanges énergétiques sont proprement insaisissables et lorsqu’elle tente de les restituer grâce à cette couleur étrange et anxieuse de l’ultraviolet, son installation, aussi aquatique que terrestre, confine à la science fiction. Ces tonalités colorent à présent différemment ses pas sur le bitume parisien durant le confinement et sans aucun doute les miens : une grande partie de cette expérience d’enfermement a frôlé le fantastique. Prenant toutes les apparences de notre quotidien - son décor, ses gestes, ses habitudes -, ces drôles de journées se sont mises à tourner sur elles-mêmes, derviches célébrant leur propre passage, jour après jour, et pourquoi pas leur propre flétrissement.

 

Les fleurs d’Angelica me font penser aux nouvelles de l’auteure américaine Carmen Maria Machado : elles relèvent d’un fantastique qui n’aurait gommé ni la prédation ni une certaine croyance/tendance à l’érotisation. Ce qui explique sans doute pourquoi une partie de nos échanges, lorsqu’Angelica me présente la pièce, tournent autour de ce qu’elle met derrière le mot « curiosité » : une manière de regarder, de vouloir comprendre, de pousser les portes interdites, de jouer ou mimer le savoir scientifique. Après avoir traqué et identifié les fleurs qui se prêteraient le mieux à l’expérience, il a fallu, elle le raconte, fabriquer de la chaleur et de l’humidité pour orchestrer et accélérer leur vieillissement dans le studio choisi pour le tournage. Des ingrédients qu’on dira « marécageux » : avec eux les environnements palpitent davantage, pullulent aussi. On imagine les populations entières d’espèces invisibles qui les peuplent et leur répondent.

 

Que les phénomènes d’extinction puissent être célébrés davantage que subis – c’est ce qu’un texte récent du poète et chercheur Romain Noël m’a permis de comprendre. Que les zones sombres de nos environnements puissent servir de tremplin à des exigences nouvelles et collectives où les fredonnements seront davantage audibles, où les filaments lumineux ne seront finalement pas si fragiles que ça, c’est ce que la pièce d’Angelica nous aide à son tour à penser. Les abeilles ne voient-elles pas le monde à travers les tonalités de l’ultraviolet – raison pour laquelle l’artiste a choisi de mener l’expérience selon cette grille chromatique ? Guy Debord n’a-t-il pas intitulé son film le plus connu « Nous tournons en rond dans la nuit et sommes dévorés par le feu » ? De la précarité dont Anna Tsing fait le point de départ pour simplement décrire nos mondes aux extases fantastiques qui permettent de rêver l’obscur et qui traversent la littérature récente(5), nous sommes de mieux en mieux armées pour dire : « Il n’y a pas de nature morte ». En hommage aux bruissements à venir, « Ce qui apparaît alors, à l’heure de l’Anthropocène, c’est le désir croissant de rejoindre une zone située par-delà les oppositions binaires qui constituent le monde tel qu’on nous l’a légué. Une zone située par-delà ou en deçà de ces oppositions, ou peut-être entre les termes qui les composent. Il s’agit bien sûr de l’opposition entre nature et culture, mais aussi de l’opposition entre sujet et objet, entre humain et non-humain, entre dedans et dehors et, de fil en aiguille, entre toutes les oppositions du monde. À travers nos yeux mouillés de larmes, une zone interstitielle nous apparaît. Et on se prend à penser qu’il y ferait bon vivre.» (6)


— Clara Schulmann


 


 


1. Anna Lauwenhaupt Tsing, Le champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme (2015), La découverte, Paris, 2017, p.31
2. L’installation Over the Air and Underground consiste en 5 écrans montrant chacun des fleurs en rotation sur elles-mêmes. Saisies à différents stades de décomposition, elles sont recouvertes de fines couches de mycéliums et ont été filmées en utilisant uniquement un éclairage ultraviolet. Au son, on entend 10 voix humaines à travers 10 enceintes qui forment un chœur de voix fredonnantes. L’installation est une boucle et les voix des chanteurs, non professionnels, démarrent doucement avant de connaître un crescendo et de redescendre. La fréquence (220 Herz) choisie pour rendre ces voix est calquée sur les données des scientifiques qui estiment que c’est celle utilisée par les racines des arbres lorsque ceux-ci communiquent entre eux.
3. Annie Dillard, Pèlerinage à Tinker Creek (1974), Christian Bourgois, Paris, 2010, p.196.
4. « Tupi amazonien : origine de la nuit » raconté par Claude Lévi-Strauss in Du miel au cendres : introduction à une science de la mythologie, Plon, Paris, 1967, p.358.
5. Je renvoie ici au recueil de textes de Carmen Maria Machado publié en français sous le titre Son corps et autres célébrations (2017), Editions de l’Olivier, 2019.
6. Romain Noël, « BDSM Apocalypse. Organiser l’apocalypse. Décrire la vie qu’on veut. Se battre pour cette vie » (2018), mis en ligne sur le site du magazine lundi matin le 22 mars 2021 :  https://lundi.am/BDSM-Apocalypse